mardi, avril 06, 2010

Résurgence du démon de l'identitaire dans le discours politique

Une contribution introductive de Doumbia major sur l'identitaire dans le discours politique

Les décénies précédant la chute du mur de Berlin furent marquées par des conflagrations importantes qui, généralement, avaient des mobiles idéologiques. Elles opposaient des nations à d'autres nations et s'expliquaient soit par des causes politiques, soit par des raisons économiques.

Les évolutions et progrès politiques qu’on observe dans les relations internationales, avec la naissance et la consolidation des Nations Unies, en plus de la chute du mur de Berlin, ont laissé entrevoir un siècle futur exempt de conflits majeurs. Cet optimisme béat se justifiait par la disparition des conflits idéologiquement motivés, puisque le capitalisme venait de prendre le pas sur le communisme avec la chute de ce que certains ont baptisé "le mur de la honte". En plus de cet événement historique, il faut mentionner qu’avec l’adoption du principe de l'intangibilité des frontières et celui de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays, les Nations Unies avaient apparemment réussi à rendre le monde plus sûr, puisque les frontières reconnues ne pouvaient désormais être remises en cause. Cette promesse d'un monde dont le futur serait un futur de paix, n'a été qu'une espérance de courte durée, car la disparition des conflits structurés idéologiquement a laissé la place à une autre forme d'opposition, qui cette fois se servira du discours identitaire comme ferment.

Les humains désormais s'opposent et se battent à l'intérieur des nations elles-mêmes. Comme si une existence humaine sans conflit était impossible, on constate que les humains ont tout simplement changé de façon de s’opposer : ils ont trouvé des nouveaux motifs à leur autodestruction. On assiste désormais à des oppositions structurées autour des questions de communautarismes, de religions, de civilisations, de racisme ou d'ethnicité. Tout ceci ramenant à des conflits d'altérité opposant un soi à un non soi ou des «nous» à des «eux», le tout bâtit autour de l’idée d’une identité ; que celle-ci soit nationale ou groupale.

Que son apparition se fasse sous forme de nationalisme civique ou d'ethno-nationalisme structuré autour d'une idée communautaire, le discours identitaire resurgit dans le discours politique, sous de multiples formes. Sous ses différentes formes, il sert aux locuteurs politiques comme moyen de formatage de l’opinion, ainsi que de moyen de mobilisation de l’adhésion des populations. Ces locuteurs qui s’en servent en font une adaptation en fonction de l’influence qu’eux-mêmes subissent de la part des multiples sphères du contexte de production.

L'identitaire est là ; nous vivons au quotidien avec lui lorsque nous sommes confrontés aux diverses communautés qui forment une nation ; nous le côtoyons dans les discours nationalistes et les discours xénophobes ou homophobes de certains partis politiques ; nous la revoyons surgir dans les conflits pour la construction d'un minaret, ou lors de conflits interreligieux. Il est parfois organisateur, mais parfois dangereux quand il agit comme un facteur déstructurant des communautés.

L'histoire récente et l'actualité nous rappellent d'ailleurs chaque jour les effets dévastateurs de la rhétorique de la haine que porte parfois le concept d'identité.
Vue positivement comme facteur de rassemblement et d'entraide, l'identité, parfois, loin de se poser comme facteur qui unit peut se poser comme facteur de recul et de destruction du tissu social, à l'intérieur des nations. Il peut même aller jusqu'à remettre en cause les liens de cohabitation paisibles qui prévalent entre des nations. Ainsi, au lieu de se poser comme facteur d'enrichissement et de progrès, l'identité devient cause de destruction et de régression sociale.

Avec l'argument identitaire, nous assistons, à l'intérieur des nations, de plus en plus à l'exclusion des minorités, que celles-ci soient natives ou autochtones, allogènes ou issues de l'immigration.
Dans ces environnements où chacun se rattache, soit à la terre, soit au sang, soit à une langue, les métis, et les personnes issues de liens mixtes se cherchent une place et une identité à l’intérieur des nations qui les ont vus naître et où elles sont parfois l’objet d’un double rejet.

Les religions, parfois constitutives elles aussi de cette identité, se posent comme facteurs de division : au lieu de rassembler par les valeurs qu'elles prônent, celles-ci se rejettent mutuellement, en agrégeant leurs adeptes dans des communautés qui se combattent.

Les indiens du Canada et des USA se disent exclus ; les immigrés en Europe sont au cœur de débat qui aboutissent à l'élaboration de lois qui concernent ces personnes étrangères, qui sont perçus parfois comme des "gens étranges". On les regarde comme des envahisseurs, au moment où les natifs quant à eux se conçoivent comme étant des personnes de souches multiséculaires, qui doivent se protéger contre leur propre disparition en tant qu’espèce, estimant à juste titre que leur histoire doit continuer. Au nom de la protection de l’identité on finit, parfois, par catégoriser les citoyens en excluant les minorités, par l’instauration d’une hiérarchisation de l’accès aux droits, ou l’accès à des prestations. À ce sujet, un regard sur l'histoire des minorités à l'intérieur des sociétés montre qu'on parvient à obtenir facilement un consensus national autour de la négation des droits des non natifs, surtout quand il s'agit de nouveaux arrivants. Il se forme dans ces cas une union sacrée contre eux, et tous ceux qui dérogent à cette règle en prennent pour leur grade. Ils sont cloués au pilori et indexés comme étant des traîtres ou des vendus. C'est d'ailleurs ce que montre Pierre Fiala dans son étude en suisse sur "consensus et xénophobie" , dans lequel il décrit comment il est facile de trouver un "consensus patriotique" quand il s’agit de nier les droits des étrangers.

Avec la récente guerre en ex-Yougoslavie, on a vu que le cœur même de l'Europe n'est pas épargné par les questions d'identités. Cette récente guerre dans les Balkans, a conduit à des "épurations ethniques", terme qu'analyse Alice Krieg Planque(2003) dans ses travaux de thèse où elle nous montre en quoi l'identité et sa revendication peuvent être nocives pour la quiétude de l'humanité.

C'est le discours identitaire qui est le moteur de l'action dans les Balkans ; c'est ce même discours identitaire qui en Turquie, pousse les séparatistes kurdes du PKK, à revendiquer la terre de leurs ancêtres au nom de leur différence ethnique. La Tchétchénie de feu le Général Djokhar Doudaev fait la même chose dans cette guerre indépendantiste qu'elle livre à la toute puissance armée russe. Guerre identitaire dans laquelle les militants tchétchenes, n'hésitent pas à faire usage d'actes terroristes, en représailles aux crimes contre l'humanité commis par les soldats Russes.

Au cœur même de l'Europe, les basques revendiquent leurs nations en s'interdisant de parler la langue espagnole. Les militants activistes de Batasuna , perçoivent la langue espagnole comme celle de l'envahisseur, au moment où ceux qui sont du côté français se refusent à parler la langue française perçue par eux comme la langue des colonisateurs. La Corse n'est pas en reste dans ces revendications sécessionnistes ; là bas elle s'exprime sous forme de plasticages de tous les symboles de l'État français. Quand ce ne sont pas des paillotes qui en font les frais, ce sont des préfets qui perdent leur vie, dans ces conflits qui ne s'expliquent que par une revendication identitaire sous le couvert de l’indépendantisme.

Ces revendications identitaires s’expriment parfois par des discours et des actes racistes dont l’un des prolongements logique est la xénophobie. Souvent même, c’est sur le terrain de l’emploi et de l'insertion sociale, qu’on observe l’exclusion sociale des minorités ethniques au nom de la défense de l’identité.

Sur le plan politique, les oppositions programmatiques cèdent la place de plus en plus à des oppositions affectives, sollicitant les dimensions identitaires et opposant différentes visions de l'identité nationale : "Patriotisme" s'oppose à "républicain", "nationaliste" s'oppose à "apatridie", etc.

Sur le plan du discours politique, les termes qui seront utilisés pour désigner l'identité seront multiples et variés : autant il y a de groupements et de partis politiques, autant il y a de référents à l'identité, chacun y allant avec ses mots pour le dire. Cette identité nationale vacille, selon les locuteurs, entre une conception Renanienne et une conception germanique fondée sur le biologique et la race. L'identité est parfois religieuse, parfois elle se bâtit sur une histoire commune, parfois elle s'appui simplement sur des mythes fondateurs ou sur des traditions communes. Elle trouve parfois son ciment dans le lien de sang ou parfois par une communauté de destin ou bien encore elle se fonde sur des fantasmes.

Certains discours se servent d'elle pour inclure, définir des réseaux d'entraide ou de solidarité, au moment où certains s’en servent pour exclure économiquement ou politiquement. L'identité est même parfois un facteur auquel on se réfère pour rassembler des entités différentes, comme c'est le cas des nations européennes qui se cherchent une âme commune en se définissant ou s'imaginant des contours d’une identité culturelle européenne.

Elle est parfois facteur de division, comme c’est le cas en Côte d'Ivoire où l'Ivoirité muée en patriotisme a fait des ravages par la guerre interminable qu'elle a générée, ainsi que la haine qu'elle a semée dans les cœurs. Le discours politique sur l'identité nationale est la cause de milliers de morts. C’est lui qui en Côte d’ivoire a divisé les familles qui anciennement cohabitaient sans se sentir différentes.

C’est lui encore qui est présent en Irak où chiites et sunnites se livrent un conflit sans merci, au nom de deux conceptions différentes d'une même religion. Le discours identitaire est partout : en Algérie les berbères se disent exclus par les Arabes alors qu'au Mali se sont les tamasheks qui se disent l'objet de discrimination de la part des Noires. En Mauritanie les négros mauritaniens se disent réduits en esclavage et revendiquent plus de liberté pour leur communauté ethnique, alors qu'en Afrique du SUD ce sont les afrikaners qui appellent à un repli identitaire contre le Noirs. Ici et là on appelle à un repli communautaire. Ces communautés seront des citadelles fortes, et les lieux d'expression de cette identité, qui peut avoir des relents confessionnels, historiques, économiques ou même être le prétexte et le lieu d'expression des discriminations. Toutes ces discriminations et conflagrations trouvent dans le discours politique l'étincelle de leur passage à l'acte.

De cette réalité, on serait tenté de dire que ce sont les politiciens qui structurent et incitent à l'action par le discours identitaire. Mais la question qu'on ne se pose pas souvent, est celle de savoir si ces politiciens eux-mêmes ne font pas que traduire des états d'une réalité sociale. Leurs discours ne sont-ils pas en définitive que le reflet d'une réalité doxique ?
Voici une question qui mérite d'être posée, car les discours politiques ne sortent pas du néant. Il n'y a pas de discours politique qui surgit ex-nihilo : le discours sort de la société et il s'énonce dans et pour une société dont-il n'est que le produit.
Structuré par son cadre de production, l'identité pré-existe au discours sur l'identité, même si ce dernier a un pouvoir structurant en dernier essor sur les représentations sociales de l'identité dans une société donnée.
Comme on peut le voir, il y a une relation d'influence mutuelle entre le discours et la société d'où il émerge. Vu que la société elle-même est en mutation il va de soit que le discours soit en mutation tout en se posant parfois lui-même comme l'agent de la mutation de la société qui en rétroaction agit sur les contenus des représentations mentales des sujets sociaux. Ces évolutions ne vont pas sans laisser de traces sur les locuteurs politiques dont les discours sont influencés par le cadre qui joue un rôle d'effet d'ambiance, qui s'immisce toujours comme un fond sonore le ferait dans une scène. Chaque discours politiques sur l'identité nationale puise dans le social et l'existant institutionnel, tout en revendiquant une identité, un ethos qui le caractérise.

En effet, les mutations sociales et historiques qui s'opèrent dans une société vont influencer le discours sur l'identité nationale dans cette société, tout comme le discours des acteurs politiques sur l'identité est susceptible d'influencer la conception que se font les sujets de l'identité nationale dans ladite société.
Finalement on se demanderait entre l'œuf et la poule qui de l’un est le géniteur de l'autre ? Sans répondre à cette énigme de l'œuf et de la poule, on peut au moins observer que le discours sur l'identité nationale est différent dans un pays qui a connu une guerre ethnique de ce qu'on peut entendre du même sujet dans un pays qui n'a pas connu de guerre. Le discours politique sur l'identité nationale d'un opposant est différent de celui d'un politicien au pouvoir ou exerçant des fonctions d'État.

Comme on peut le voir, le cadre de production peut structurer le contenu du discours, mais dans le même temps, on sait que les discours tenus dans les réseaux sociaux qui forment une société donnée, peuvent aboutir à la construction des communautés réunies par un discours ; que cette communauté soit religieuse, de classe ou de caste, tribale, économique ou sexué. Il peut même se trouver que ces regroupements se fassent selon une histoire commune ou une communauté de destin ou de souffrance (que celle-ci soit réelle ou phantasmatique). Les regroupements ainsi formés constitueront des ethnies ou sous-ethnies, en interaction sociale dont l'existence passe par une altérité qui peut se manifester à travers des conflits engagés pour le pouvoir, des conflits de conquête ou de marquage de territoires, ou même des conflits économiques parfois camouflés sous le couvert des conflits ethniques. La réalité sociale de l'état des rapports de forces résultant de ces conflits ethniques va, soit structurer, ou du moins, aura une influence sur le discours dominant en rapport avec le concept d'identité nationale.

Le corps social ayant une croissance historique et sinusoïdale, il va de soit que les discours politiques qui en sortent soient des discours à géométrie variable.
Ces discours auront des incidences sociales en termes d'inclusion ou d'exclusion et vont parfois être exprimé de manière subtile ou directe, de manière rationnelle ou affective, de manière subliminale ou patente, en fonction des objectifs et stratégies des acteurs politiques.

Comme on peut le voir, l'identité nationale est multiple et a plusieurs manières d'être exprimée. Elle s'exprime souvent par la culture, parfois par l'histoire, de manière affective ou de manière rationnelle. Elle peut avoir plusieurs visées : soit elle croit manipuler, soit elle vise à rassembler. Son mobile peut-être économique, religieux, culturel etc. C’est cette réalité du concept d'identité nationale qui pousse à dire qu’en définitive c’est un contenant flottant qui peut renfermer tout et n'importe quoi, pourvu qu'il rapporte quelque chose à soi.

Très peu traité en France où les statistiques ethniques sont interdites, il fait l'objet de beaucoup de publication dans les pays anglo-saxons, et particulièrement au Canada où non seulement le cadre législatif le permet, mais certainement aussi à cause de la réalité plus criarde des conflits ethniques latents entre francophones et anglophones.

Concept polysémique, il n'en demeure pas moins qu'il reste une réalité qui mérite d'être éclairée dans sa définition et son mode de construction
C'est cet éclairage que nous apportons à travers,  les "Études lexicométriques expérimentales et critiques de la notion d'identité nationale dans le discours politique". Nous analysons de manière contrastive ses variations et de sa circulation chez les locuteurs politiques en nous servant des logiciels de textométrie.